Saint-Pholien, Grandma's Graphic
Quand j'étais étudiante à Liège, j'avais, le vendredi, cours de 9 heures à 11 heures, puis rien jusque 14 heures. Si je n'avais pas habité chez mes parents, et surtout si ce cours n'avait pas été celui d'Egyptologie, je pense que je serais souvent restée dans mon lit. Mais j'étais une étudiante modèle (et j'habitais chez mes parents), alors tous les vendredis, à 11 heures, je traversais la passerelle sur la Meuse pour rejoindre le marché aux puces de saint-Pholien (comme le pendu, pour ceux qui connaissent l'inspecteur Maigret). Saint-Pholien, c'était (et c'est toujours, je suppose), le paradis des fauchés et des étudiants : de la brocante, de la frippe, un incroyable bric-à-brac tout au long d'un boulevard, et sur les placettes avoisinantes.
J'adore les brocantes, mais j'ai toujours le coeur brisé devant ces caisses où est empilé en vrac le contenu des vies aujourd'hui oubliées : les sucriers côtoient des vieux carnets de comptes, des boîtes de biscuits entamées recouvrent des mouchoirs jadis soigneusement repassés et parfumés, des flacons de sel de bain se répandent sur de vieilles photos. Ah les vieilles photos de famille. Elles me brisent particulièrement le coeur.
Il y avait aussi beaucoup de livres dans ces caisses, ces jolis livres à couverture rouge qui étaient offerts comme prix aux enfants des écoles. Souvent, un ex-libris avec un nom, un prénom, une année scolaire, le rappelait, et déclenchait inévitablement chez moi une vague de nostalgie : qui avaient été ces enfants méritants ? Quelle avait été leur vie ? Qu'auraient-ils pensé en voyant leur Premier Prix négligemment jeté dans une boîte en carton, dans la rue, parfois sous la pluie ? Enfin, au moins, ils pouvaient entrer dans mon budget d'étudiante, puisqu'en général ils coûtaient 5 ou 10 francs belges, rarement plus de 20 francs (50 cents) - seuls les Jules Verne étaient rares et chers.
Ces livres rouges étaient non seulement jolis fermés, mais renfermaient aussi des illustrations tout à fait charmantes, en général des gravures sur bois (et j'adore la gravure sur bois). Quand j'ai eu mon premier ordinateur, j'en ai scanné beaucoup, pour faire des ex-libris, des étiquettes, des choses et des machins. Via Boing Boing, je viens de découvrir que quelqu'un avait fait la même chose, et mettait à la disposition de tout le monde des illustrations libres de droit pour faire ce qu'on veut avec : Grandma's Graphic.